Tricoter plus éthique : le point sur les différents types de fils.

J’ai décidé d’apprendre à tricoter il y a une dizaine d’années maintenant et c’est toujours une activité que je pratique avec plaisir aujourd’hui.
Au fil du temps j’ai commencé à me poser différentes questions quant aux matières que j’utilise, aux créateurs/trices et entreprises que je soutiens, etc.
Mon premier article à ce sujet sur le blog date déjà de 2017 et je trouve que les choses ont beaucoup évolué dans le monde du tricot depuis. Il est donc grand temps d’aborder à nouveau tout cela par ici !

La notion d’éthique dans le tricot (et plus largement dans la mode et l’habillement) me semble être un sujet complexe et très vaste. Il peut en effet être question de provenance des matières premières, d’impact sur l’environnement, de composition des produits finis, de bien-être animal, d’engagements sociaux et d’inclusivité des marques commercialisant des patrons, de représentation de l’ensemble de la population dans les livres et magazines spécialisés, et probablement bien d’autres choses encore.

J’essaie de prendre en compte au mieux ces différents aspects, mais j’avoue qu’il est souvent difficile de savoir par où commencer et où trouver les bonnes informations.
Le plus important est à mon avis de toujours savoir où se place notre curseur personnel avant de réaliser un achat. Quel est mon critère principal ? Que le fil soit vegan ? Local ? Abordable ? Le plus durable possible ? Issu du travail d’un artisan ? Que sa production ait un impact minimum sur l’environnement ?

Afin de me simplifier la tâche, j’ai personnellement choisi d’attaquer le problème par le côté matières et bien-être animal qui me permet d’effectuer un premier tri.

Je commence donc par me poser  les questions suivantes :
1. Quel type de fil est-ce ?
2. D’où vient la matière première qui le compose et quel est son impact sur l’environnement à tous les stades de sa vie ?
3. Comment a-t-il été produit ? Où et comment a-t-il été filé et teint ?

Je vous propose dans cet article d’explorer ces questions avant de vous présenter dans un second article quelques marques, boutiques, producteurs/trices répondant à mes critères !
Même s’il n’est pas exhaustif, ce tour d’horizon se veut assez complet.

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1. Quel type de fil est-ce ?

C’est pour moi le point crucial, celui qui fait que je vais pouvoir vraiment m’intéresser ou non à un fil.
Il existe deux grandes familles globales de fil : les fils naturels, et les fils chimiques (synthétiques et artificiels).

Les fils naturels.

Un fil 100% naturel peut être animal ou végétal.

Du côté des fibres animales, la première qui nous vient à l’esprit lorsque l’on tricote est bien-sûr la laine ! Issue de la tonte des moutons, il en existe différents types, le mérinos étant probablement le plus connu.
Nous avons également l’habitude de nommer laine le cachemire (provenant de la chèvre du même nom), le mohair (de la chèvre angora) et l’angora (du lapin du même nom).
En plus de la laine, il existe des fils composés de poils d’animaux de la famille des camélidés (lama, alpaga, vigogne, chameau), ou de yak.
Le dernier type de fil naturel animal est tout simplement la soie, issue des cocons d’un papillon, le bombyx du mûrier.

Du côté des fibres naturelles végétales, la plus évidente aujourd’hui semble être le coton, mais il existe bien évidemment le lin et le chanvre qui reprennent peu à peu une place plus importante. Le jute, bien que plutôt rêche peut également être mélangé au coton pour obtenir un fil plus agréable, et il peut servir pour le tissage décoratif. On peut en outre citer l’abaca, filé à partir de fibres de bananier, et la ramie, une sorte d’ortie.

Les fils synthétiques et artificiels.

Un fil chimique peut quant à lui être totalement synthétique, ou bien être dérivé de végétaux et c’est là que les affaires se compliquent un peu !

L’acrylique, le nylon, le polyester, le polyamide, l’élasthanne sont des fils 100% synthétiques, produits à partir d’hydrocarbures.

Mais il existe aujourd’hui également un certain nombre de fibres artificielles dérivées de végétaux : le lyocell/tencel (dérivé de cellulose d’eucalyptus ou de bois), le modal (cellulose de bois de hêtre), le bambou (cellulose de bambou), le soja (à partir de protéines extraites des graines de soja), la rayonne et sa représentante la plus connue : la viscose (également fabriquée à partir de cellulose) etc.

—> dans mon cas personnel, je vais systématiquement privilégier les fils naturels, puis éventuellement certains fils artificiels dérivés de végétaux. Mais c’est une question de choix. Un fil 100% synthétique ne passera pas la première étape de ma sélection alors qu’il pourra être acceptable pour une personne vegan cherchant une alternative chaude à la laine (je sais que certains maintiennent que le lin tient chaud mais bien qu’étant consciente de ses grandes qualités thermorégulatrices ça n’est pas un avis que je partage car je ne le trouve pas adapté aux températures négatives).

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2. D’où vient la matière première de mon fil ? Quel est son impact sur l’environnement ?

Une fois que je sais à quel type de fil j’ai à faire, je cherche à savoir d’où provient la matière première qui le compose.
Dans le cas d’une fibre végétale, où a-t-elle été cultivée ? On sait par exemple que le coton ne pousse pas en France et qu’il nécessitera forcément un transport assez long. Lorsqu’il n’est pas bio, sa culture utilise des pesticides. Dans tous les cas, il est gourmand en eau. Bien que naturel, son bilan environnemental global parait donc discutable.

Le lin et le chanvre sont des cultures françaises historiques.
80% de la production mondiale de lin vient d’Europe, et la France en est la tête de file. Cette culture consomme naturellement peu d’eau et de désherbant. Le chanvre est même encore plus sobre : pas besoin d’irrigation, et il étouffe lui-même les mauvaises herbes ! Mais nous verrons tout de même au point suivant que les choses ne sont peut-être pas aussi simples qu’elles en ont l’air avec ces deux fibres qui disposent cependant de beaux atouts.

Dans le cas des fibres artificielles issues de végétaux, d’où vient le bois nécessaire à la production de cellulose et ne participe-t-il pas à la déforestation ?

La production française de soie a aujourd’hui presque totalement disparue et 90% de la matière première brute provient d’Asie.

Pour la laine et les fibres s’y apparentant, tous les pays n’appliquent pas les mêmes réglementations en matière de bien-être animal, il est donc impératif de connaitre précisément l’origine afin de pouvoir se renseigner plus amplement. Il s’agit de savoir comment les toisons et poils sont récoltés, et comment sont traités les animaux qui nous les fournissent.
Concernant les moutons, certains pays pratiquent l’élevage intensif, et l’Australie autorise encore le mulesing. Ils sont parfois brutalisés et blessés lors de la tonte, tout est loin d’être rose.

Les fibres 100% synthétiques étant elles issues de la pétrochimie, elles consomment des ressources non renouvelables, leur production s’appuie sur des substances chimiques, et elles continuent de générer de la pollution tout au long de leur vie en relâchant des micro-plastiques dans l’eau à chaque lavage contrairement aux fibres naturelles.

–> Toujours garder à l’esprit qu’un fil synthétique, quel qu’il soit (même recyclé), continuera à avoir un impact négatif tout au long de sa vie et pas uniquement au moment de sa production.
–> Se rappeler également que dans le cas des fils naturels, avoir connaissance de leur origine ne suffit pas à savoir s’ils n’ont tout de même pas un impact négatif.
–> J’évite personnellement systématiquement la laine australienne pour être sûre que les moutons n’ont pas subi de mulesing.
–> Les exploitations sur-dimensionnées étant monnaie courante dans de nombreux pays (en Nouvelle-Zélande par exemple), je me limite à certaines provenances comme j’en parlais déjà dans mon article de 2017.

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3. Comment a-t-il été produit ? Où a-t-il été filé, comment et où a-t-il été teint ?

Connaitre la provenance de la matière première composant notre fil, ainsi que son impact est intéressant, mais cela ne suffit encore pas à se faire une idée globale de son « coût » environnemental. Il faut pour cela avoir une idée du processus de fabrication du fil à partir de cette fameuse matière première.

Pour en revenir au lin et au chanvre, si leur production est bien souvent locale pour nous en France, le reste de la chaine a malheureusement été démantelé dans les années 80, et l’envoi de la matière première en Chine ou dans les pays de l’Est est bien souvent nécessaire pour effectuer les étapes de création du fil. (Les choses semblent changer un peu à ce niveau-là. Affaire à suivre…)

La question de la production des fibres artificielles issues de végétaux est assez complexe car tous les processus ne se valent pas. La matière première principale est en général de la cellulose (de bois de hêtre, de résineux parfois, d’eucalyptus, de bambou…), mais des protéines issues des tourteaux de soja ou même du lait peuvent également être utilisées, tout comme des algues, ou encore les linters qui recouvrent les graines de coton pour le cupro.
La transformation de la matière première brute en fil passe par plusieurs étapes qui s’avèrent parfois polluantes avec le recours à des solvants, et consommatrices d’eau et d’énergie. C’est par exemple le cas pour la viscose dont la production nécessite du disulfure de carbone et beaucoup d’eau. Il semblerait également que le bois utilisé soit responsable de déforestation (source).
Le lyocell, autre matière artificielle cellulosique, est par contre une bonne alternative produite quasiment en circuit fermé, en utilisant un solvant non toxique et recyclable. La production du modal peut également s’avérer plutôt écolo, et, comme le lyocell et contrairement à la viscose, il est biodégradable. Mais malheureusement tous les fabricants n’ont pas le même degré d’exigence.

Quant aux fibres naturelles animales, le pays d’origine donne déjà une première idée des pratiques globales, mais d’énormes disparités existent entre les producteurs, il faut donc se renseigner au cas par cas afin d’en connaitre plus sur le traitement des animaux.

La matière première va ensuite dans bien des cas voyager un peu avant de revenir sous forme de fil, les filatures se trouvant souvent dans des pays plus ou moins lointains de celui de départ (souvent en Asie, parfois en Italie pour les laines plus haut de gamme).

Une fois le fil produit, même s’il est naturel, il va falloir le teindre pour obtenir une large palette de couleurs. Là encore, attention ! Avec les fils non teints aucun souci : ils conservent la couleur naturelle de la matière première et ne nécessitent aucune manipulation supplémentaire. Pour le reste, il existe des tout de même des teintures non toxiques et des artisans travaillant les teintures végétales.

Dans le cas spécifique de la laine, d’autres étapes rentrent également en ligne de compte. En effet si vous ne tricotez pas des laines dites rustiques, vous allez à priori avoir à faire à des fils issus de toisons nettoyées à l’aide de produits chimiques agressifs pour les débarrasser de leur suin. Pas forcément au top…
Le cas des laines superwash est également intéressant à aborder. Pour la faire courte, ce sont des laines traitées chimiquement afin de les rendre résistantes au lavage (elles sont plus ou moins enduites de plastique afin que la laine ne feutre pas). Pratique pour le passage en machine, mais fausse bonne idée pour l’environnement.  Si vous voulez mon avis, évitez tout bonnement toutes les laines étiquetées superwash. Si vous prenez le temps de tricoter un pull ou de grosses chaussettes scandinaves, vous pouvez bien prendre quinze minute pour les laver à la main lorsqu’ils en ont besoin, non ? 😉

–> Prendre en compte toute les étapes de la fabrication d’un fil est souvent compliqué. J’évite pour ma part les marques qui ne donnent aucune précision là-dessus car j’ai toujours l’impression que cela cache quelque chose !
–> Pour la laine, lorsque je ne connais pas précisément le pays d’élevage des animaux, je n’achète pas, même s’il a été filé en Europe et que la teinture est non toxique.

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Je sais que toutes ces données mises bout à bout peuvent effrayer un peu et donner un sentiment d’impuissance. Comme souvent, il ne s’agit pas de faire un choix parfait, mais de prendre la décision la plus acceptable pour nous-même.
Le fait de tricoter soi-même ses vêtements me semble intrinsèquement opposé à la logique du toujours plus de la fast-fashion et il me paraît assez intéressant de pousser la démarche un peu plus loin en choisissant de la manière la plus éclairée possible les matières qui vont se retrouver sur nos aiguilles pour les quelques vêtements et accessoires que nous allons fabriquer nous-même !

Et vous alors, vous tricotez quoi ?
Comme d’habitude, ce ne sont que mes réflexions et recherches personnelles, donc n’hésitez pas à venir ajouter vos propres découvertes et questionnements dans les commentaires !

Et je vous donne rendez-vous en fin de semaine pour la suite !


Pour approfondir :

Les fibres naturelles / Présentation par la Fédération maille, lingerie et balnéaire
Les fibres artificielles / Savoir.fr
L’avancée des filières chanvre et lin en France / Article de juin 2021 sur le blog de Natissea
La soie / We dress fair
La viscose et ses cousin(e)s / Louise Magazine
La laine superwash / Laines paysannes
La vérité sur les laines superwash / Les Triconautes
Laines à tricoter : le tricot passe au vert / ConsoGlobe


Les photos d’illustration de cet article proviennent d’une banque d’images et ont été prises par Pavel Danilyuk et Arina Krasnikova.

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